jeudi 31 mai 2012

Roberto piano Navarro

Roberto s’en est allé, c’était le mardi 22 mai dernier, il a décidé d’y laisser la vie, à Leipzig, ville où Jean-Sébastien Bach œuvra pendant plus de vingt-cinq ans.


Roberto, l’architecte et le musicien viscéral, voyait les jours en couleur, jaune pour le mercredi, rouge le vendredi et bleu le dimanche. Quelle était la couleur de sa dernière journée ? 
Il transmettait la musique, sa musique, ses convictions profondément liées à sa pratique quotidienne et à ses valeurs. Il n’aimait pas la médiocrité humaine, les bassesses, l’hypocrisie, l’ego ou le manque de respect. «La dignité ne se négocie pas», disait-il.
by Paula Bearzotti

Gerry Kenny a écrit un très bel hommage qui retrace également des moments de sa carrière et je vous invite à le lire.
Ici, je voulais juste lui laisser la parole, puisqu’il s’était confié par écrit, se dévoilant tel quel, dans «Sevilla era un tango - crónicas de viaje» publié en 2005. 
Voici quelques extraits choisis et traduits.
« Je me réfère au silence. A ce silence entre une note et l’autre, à cette énergie qui va et vient et va et vient, et où l’on plonge corps et âme et qui est le plus proche de l’extase; ces instants magiques comme on les appelle, ces moments où tu sais qu’une femme est probablement en train de verser une larme, parce que c’est sa façon de recevoir tant d’amour, où l’on se sent soi même parcouru par un petit air interne qui vient des tripes, monte à la gorge, et parfois jusqu’à te donner envie de crier, de pur plaisir, rien de plus. Ca n’arrive pas toujours. Il y a des concerts où cela arrive et d’autres non. Et c’est ce qui le rend plus beau encore. Parce qu’on le cherche inconsciemment. Mais cet instant apparaît totalement indépendamment de notre volonté. Tu le reconnais simplement quand il est là. Et alors ça vaut la peine. Le sacrifice, les heures à étudier le piano. La quête. La recherche. Les discussions sur l’esthétique. La dynamique et les nuances. Tout se réduit à néant face à la contemplation consciente de cet instant suprême. Le plus semblable du bonheur. Aussi éphémère que lui.» 
Il y cite Mayté Martin, dans des paroles qui pourraient être les siennes : «... à posséder la chance et l’immense trésor de l’être libre et transparent; parce que j’ai fait de cette liberté et de cette transparence mon mode de communication, le plus important et le plus beau; et j’ai obtenu avec elles qu’à chaque fois que je monte sur scène, il y ait des centaines de personnes assises face à moi, complices de mes émotions, m’offrant leurs sourires, leurs larmes et leurs applaudissements, en échange de ma vérité, qu’elle que soit sa forme».
« Le chemin de l’art est un chemin très long. Et le résultat imprévisible. Et il ne va pas toujours avec la reconnaissance ou le succès. C’est une tâche quotidienne, de fourmi travailleuse, avec des rêves et des utopies, qui se construisent à partir du vide le plus absolu. On ne recherche même pas un résultat. On le fait par une profonde nécessité intérieure. Pour échapper à la folie. Ou pour dire et montrer notre vision du monde. Il n’y a pas d’autre façon d’affronter l’art. Il est viscéral ou n’est pas. C’est une communion avec la partie la plus intime de nous-mêmes ou alors c’est un mensonge. Il ne peut pas suivre des modes ou des tendances esthétiques. A l’extrême, c’est le contraire. L’art peut générer ces modes ou ces tendances. Mais un art qui essaye de créer parce qu’il faut respecter une tendance prédéterminée n’est pas de l’art.».
«Parfois, tu sais que quelque chose de mystérieux vole entre le bout des doigts qui caresse le clavier, qui actionne les marteaux qui en même temps tape les cordes, et ce qui sonne jaillit de l’âme; que tu aies les yeux ouverts ou fermés, c’est la même chose. Tu n’es pas là. Tu sembles sans corps; ce qui jaillit de ces cordes est un son qui te transporte vers l’au-delà, et tu sais, parce que tu sens l’âme-sœur, que cet autre est autant ou plus ému que toi.»
Et au sujet du concert qu’il donna à Séville le 4 mars 2005 : «Je retiens dans mes oreilles ces instants de silence, que je valorise beaucoup plus que les applaudissements. Tout ce que nous avons vécu jusque là valait la peine. Les bons comme les mauvais moments. Pouvoir transmettre un bout de notre âme à travers la musique est un cadeau que j’ai reçu. Et quand cela arrive, j’en profite comme un gosse. Sinon, ça ne sert à rien. Si on ne jubile pas avec ce petit moment de silence qui ne dure pas plus d’un instant dans le cosmos; si on ne vibre pas là comme les cordes du piano, si on ne met pas corps et âme dans ce tourbillon comme la vague de la mer déchaînée, tout ce voyage n’aurait rien signifié. Cet instant vaut tout. C’est pour cela que je fais de la musique. Je l’ai déjà dit. Mais je ne m’en lasse pas car quand cela arrive, c’est magique. Dans cet espace-temps, on perd la notion de tout. Tout l’Univers est là avec nous. Tout est une seule âme. C’est le moment d’amour suprême. Ca vaut le coup de le chercher. Même s’il faut faire tant pour y parvenir.»
Le souvenir de son charmant sourire nous accompagne en même temps qu’il ne cesse de nous questionner, sa musique de résonner. «La vie ne suffit pas pour apprendre», disait-il. Reste tant d’images, ce qu’il nous a donnés et appris, et sa musique comme une présence perpétuelle.
Solange Bazely (31/05/2012)
http://www.myspace.com/pianorobertonavarropiano

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